Lettre amour à l’être amer…
Avant-propos:
J’ai écrit cette nouvelle afin de participer à un concours autour du thème « Amer »; suite à un problème informatique du récipiendaire (format ?), celle-ci n’a pas été retenue… Je la livre in fine sur mon blog puisqu’il n’y a plus d’exclusivité. Dois-je préciser que ce texte n’est que pure fiction ?
Bonne lecture !
Chriss 😉
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« Qui n’a pas d’enfant
n’a pas de lumière
dans les yeux. »
Proverbe Persan.
Ah, Mères !
Qu’êtes-vous sans vos tourments ?
Oh, Mères !
Qu’êtes-vous sans vos enfants ?
… … … …
Mon cher Philippe,
Ainsi commence l’épique poème que m’inspira ta mère, après avoir déjeuné avec elle dimanche dernier : elle était à la fois si désemparée…et si enchantée de me voir ! Quel paradoxe !
Elle, qui était confinée comme un meuble à la maison, voilà qu’elle se meut en tout sens, à courir ici et là ! Elle, qui ne connaît dorénavrant rien d’autre que cette amertume des jours trop longs et des nuits trop courtes ; elle, qui se lève chaque matin dès potron-minet et ne se couche qu’après minuit bien sonné – non sans avoir mis en ordre les affaires du benjamin de la fratrie. Ah…cette foutue adolescence !
Quelle idée de t’avoir donné un p’tit frère dont tu es de 17 ans l’aîné ? Serais-ce ce fameux « accident » que prétextent de nombreux hommes pour fuir leur couple ? Ou bien l’enfant qui sauverait, dudit couple, d’une rupture pourtant inéluctable ? Ou, a contrario, est-ce tout simplement un non-choix, parce que le corps, l’esprit et l’amour de ta mère pour les enfants le réclamaient ? Qu’en penses-tu ?
Ta mère, Chantal, chante différemment depuis que ton père a largué les amarres familiales pour voguer sur la mer des amours juvéniles…abandonnant, au passage – papa pas sage – ses quatre enfants. Certes, trois sont déjà adultes mais n’a-t-on pas toujours besoin de son papa ?
Sais-tu que je n’ai jamais connu mon père biologique ? Il s’est volatilisé quand il a su que ma mère était enceinte. Ensuite, j’ai eu un père adoptif avec qui je ne me suis jamais entendu. Il est décédé il y a 10 ans. Nous n’avons quasiment rien partagé ensemble. Même à mon âge, j’ai toujours un manque et cette peur de l’abandon. Penses-y !
Toi, tu n’as plus revu ton père depuis ce lendemain du 1er mai 2013 où il est parti au travail – littéralement un grand Pont – et n’est jamais rentré… Je sais qu’il a essayé de te contacter depuis et que tu as toujours refusé de lui parler. On ne peut être fâché indéfiniment. Quand bien même, tu seras toujours le fils de ton père !
À 31 ans, tu es un bon p’tit fonctionnaire ; tu as un p’tit studio sympa, une petite copine… Ne vois-tu donc la Vie qu’en minuscule ? L’ambition est-elle héréditaire, le fruit de l’éducation ou est-ce une construction sociale ? Tes sœurs, alors très jeunes, ont compris ; elles, en voyant l’existence glauque de ta mère qu’elles choisiraient leur destinée, et ce, grâce à de longues études. Toi, l’aîné, je sais bien que tu n’as guère eu le choix… Tu devais suivre les pas de ton père…
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Ton père ? ! La crise de la cinquantaine proche, que lui prétextaient les trop rares amies de ta maman, ne l’excuse en rien.
– Une fois passée l’effervescence de la nouveauté, il reviendra vers toi tout penaud. Le pardon, Chanchan ! Le pardon ! Tu verras, vous deux, ça sera même mieux qu’avant ! disaient-elles, croyant lui remonter le moral.
– Ton père est bel et bien un salaud ! Un pauvre type ! Ce n’est pas un Homme majuscule… Je suis désolé de te le dire aussi franchement. J’étais pourtant son ami – il m’avait rendu un inestimable service – et j’admettais sa manière de voir la vie, ô combien si différente de la mienne, mais je n’accepte pas sa lâcheté. Comment a-t-il pu commettre cet acte odieux ? Comment !?
Certes, il n’était pas manipulateur, même pas violent, ni en mots, ni en gestes ; il n’y a jamais eu d’orage, même pas de tempêtes chez vous. N’est-ce pas ? Un quotidien sans surprise : lisse comme le lino usé de la cuisine que ta mère a tant frotté ; une routine confite dans le vin cuit, le digestif rituel quasi sacré du dimanche midi. Pour les préparer à la fadeur de la semaine suivante ?
Sais-tu pourquoi, quand je venais déjeuner chez vous, je m’abstenais de tout commentaire sur la façon de vivre de ta famille ?
Comment dire… Ce service… Toujours ce service…
Tes parents se sont connus alors que ta mère n’avait que 16 ans ; lui avait tout juste la majorité. Elle ne savait rien de la vie et n’imaginait pas que la vie – sa vie – pouvait être faite de choix. Plus question d’aller au bac, il fallut plutôt passer par la Mairie car c’est toi qu’elle attendait… Puis, tes sœurs et ton frère. « Je devais juste les élever. C’était comme ça ! » m’a-t-elle confié. La fatalité !
Nonobstant, après 9 mois sans Lui, Chantal a enfin pris conscience de son sinistre statut jusqu’alors de mère au foyer désignée volontaire, vierge de toute activité professionnelle, sans diplôme et formation. Elle avait joué toute sa vie ce rôle de ménagère, de nounou et bien sûr, elle respectait le devoir conjugal… Quel devoir ! ? La femme n’a-t-elle donc pas de droits ?
Une femme parfaite aux yeux de ton père ! Elle était son nombre d’or mais aussi son ombre ; elle avait marché à côté de sa propre vie sans même sans apercevoir. Elle ne connaissait guère plus que les murs de votre appartement où ses voyages ne la menaient que de la cuisine à la chambre. La télévision était sa seule distraction car Monsieur ne voulait pas d’internet ni à la maison, ni ailleurs : le comble de la modernité chez vous résidait dans son vieux Nokia. Est-ce ce néant informatique qui t’a aussi freiné dans tes études ?
Tes sœurs et toi n’avaient pas leur mot à dire – pas que votre père était un tyran – vous étiez juste disciplinés et si dociles. Tellement dociles que l’impertinence et la rébellion vous étaient totalement étrangères. N’as-tu jamais eu envie de dire à ton père qu’il aurait dû vous laisser un minimum de liberté ? À l’age de Paul, tu ne quittais la maison que pour aller au collège ; pas de visite d’amis – encore moins d’amies ; pas de cinéma, de Mac Do ; pas de scooter… Tu trouves cela normal et sain ?
Et ta mère ? Elle restait cloîtrée à la maison à laver ; repasser ; faire la cuisine, le ménage…laver, repasser, faire la cuisine, le ménage… Tu penses vraiment que c’est ça la vie ?!
Maintenant, ta mère travaille – femme de ménage dans un hôtel bon marché – et vient de commencer des études par correspondance : un Diplôme d’Accès aux Études Universitaires, une équivalence au BAC ; elle veut devenir… Non, je ne te le dis pas… C’est à toi de t’en enquérir !
Elle a enfin pris conscience, heureusement, qu’être femme, c’est aussi et surtout ne pas être dépendante et tributaire de son mari ; c’est décider par soi-même ! À 47 ans, il est enfin temps pour elle de vivre !
Sais-tu qu’elle fait du sport ; qu’elle a changé de coiffure, de tenues vestimentaires ; qu’elle va au cinéma seule ; qu’elle s’est même engagée dans une association féministe ? ! Non, tu ne sais pas car tu as mis ta famille à l’écart de ta vie ! Tu n’as plus de contact avec elle depuis que ton père a quitté le foyer car tu fais porter à ta mère le poids de la culpabilité : tu crois vraiment que c’est de sa faute que ton père est parti ? Comprends-tu qu’elle n’a pas eu la liberté d’aimer sans souffrir ? Qu’elle n’a jamais connu d’autres hommes que ton père ? Qu’elle n’a même pas osé rêver d’une autre vie ?
Tu es vraiment ingrat et…macho ! C’est si facile de fuir, de faire fi de toute empathie, de ne pas chercher à comprendre ! Ta mère souffre de ton silence. Tes sœurs la soutiennent mais elles sont géographiquement loin d’elle. Pourquoi les as-tu également oubliées ? Je comprends que tu te protèges ; que tu veuilles avoir une vie tranquille avec ta copine mais est-ce une raison pour jouer à l’orphelin ?
C’est parce que je te considère comme un fils que je te dis tout ça. C’est parce que je me sentirais toujours redevable vis-à-vis de ton imbécile de père que je t’écris ce que j’ai sur le cœur. J’espère que tu me pardonneras cette liberté d’expression dont j’abuse peut-être…et qui use mon clavier tant j’écris nuit et jour en ce moment ! Certes, pour l’écrivain que je suis, ce n’est pas étonnant !
Si je t’écris ce jour, c’est aussi parce que je ne veux plus supporter ce secret qui me lie à ton père.
Ce service dont je t’ai parlé à demi mot. C’est une période de ma vie où j’étais…
Amer…
…comme la bière,
Que je buvais…
Pourtant si douce…
Amer…
…comme les fiers
Délice des vanités…
Que je fumais…
Amer…
…comme les vers
De mes poèmes…
Que je pissais…
Oui, à cette époque, j’étais amer face aux injustices de la vie – plutôt de ma misérable vie – et cela me conduisait à me détruire à petit feu. Je sombrais dans la dépression… Un soir de blues où j’avais trompé ma bière avec du « rhum arrangé » ; où j’avais le cerveau qui flottait dans le fumet d’une « herbe de Provence », je voulus enjamber le Pont des Arts, moi, l’artiste maudit… Ton père, qui revenait de son travail, se porta à mon secours et me ramena chez moi. Nous avions le même âge : 24 ans ; il venait assurément de me sauver la vie car la Seine n’aurait pas fait de cadeau à un type défoncé, de surcroît ne sachant pas nager ! Tu comprends pourquoi, toutes ces années, je ne lui disais mot quant à votre façon de vivre. Je ne peux dire « philosophie de vie » car non seulement, pour moi, il n’y avait pas plus de philosophie, que de vie chez vous durant toutes ces années familialement austères.
Ah, quand je repense à tout ça…
Il est vrai – critiqueras-tu – que je suis mal placé pour te faire la morale et te donner des leçons de vie mais sache que ce n’est pas le sens de ma démarche ; que je ne veux que ton bien et que voir ta mère peinée – une double peine – me désole. Tu ne peux continuer ainsi à lui faire subir tes humeurs d’égoïste aigri tel un enfant gâté que tu n’as pourtant pas été. Peut-être me trompé-je ? Prouve-moi donc que mon interprétation est erronée !
Rien n’est jamais acquis ; rien n’est jamais définitif. Ma vie n’a pas été « Un long fleuve tranquille » comme tu peux t’en douter mais il est bien loin le jeune homme paumé que je fus. Toi aussi, tu peux changer : tu es loin d’être un imbécile !
Je te fréquente depuis suffisamment longtemps pour ne pas douter de toi. Je te fais confiance ; ne le devrais-je point ?
Entre ton père et moi, il y a dorénavant comme un vide, un trou noir où les étoiles de l’amitié se sont éteintes. Je ne le comprends plus – l’ai-je un jour compris ? Je le croyais bienveillant parce qu’il m’avait sauvé la vie ; il n’en était a priori rien. Il avait sauté dans la Seine par instinct, sans réfléchir. Mais pourquoi, diable, avait-il insisté à continuer à me voir après cet épisode malheureux ? Il n’avait pas d’amis alors…je tombais à pic, si j’ose dire !
Il a toujours été un mystère pour moi. Jamais de signe d’affection ni pour ta mère, ni pour ses enfants. Je n’ai jamais su la réelle nature de ce qui nous liait ; excepté que je sois encore de ce monde. Il ne se racontait pas. Plus taciturne que lui, ça n’existe pas ! Plus casanier, tu meurs !
Et subitement, il a changé. Tellement changé ! J’avais bien remarqué qu’il était moins disponible pour moi, que l’on se voyait de moins en moins mais de là à imaginer qu’il ait une maîtresse…
Que s’est-il passé pour qu’il s’amourache d’une jeunette délurée ? Quelle mouche l’a piqué ? Encore un mystère ! Était-il lui-même l’ombre de son ombre, cachant sa vraie nature, durant toutes ces années ?
D’après ta mère, ce fatidique 2 mai, il a pris son café, comme d’habitude sans mot dire ; puis, tout d’un coup, il s’est levé de table, a pris sa sacoche et lui a déclaré tout de go, comme en récitant une mauvaise tirade apprise par cœur :
– J’ai rencontré quelqu’un. Je l’aime et elle m’aime. Toi et moi, c’est du passé. J’ai contacté un avocat pour le divorce ; tu peux tout garder. Adieu !
Ta mère complètement abasourdie, anéantie n’a pas eu le temps dire quoi que ce soit qu’il avait déjà franchi la porte d’entrée. Elle crût que le ciel lui était tombé sur la tête. Mais elle ne pleura même pas à sa grande surprise.
D’ordinaire, si discrète, si dévouée à la limite de la soumission, presque un cliché du sexe que l’on dit faible, passé les premiers tourments de sa nouvelle situation familiale, elle se dit que la vie pouvait être AUTRE. Ce ne fut pas facile. Il fallait tout réorganisé. Mais ses ailes larvées ne demandaient qu’à s’ouvrir…
Deux mois après cet événement tragique, elle a pris le parti d’en rire. Une force qui lui était inconnue dictait à son esprit que sa vie ne serait plus jamais comme avant : elle devrait vivre pour travailler jusqu’à ce qu’elle travaille pour vivre ; cela passait donc par des études pour être un jour totalement LIBRE.
On peut dire que cette rupture fût une révélation. Une révolution !
Tout ça, mon Cher Philippe, pour te dire que ta mère est devenue une autre femme : elle est battante, volontaire, enjouée mais elle a besoin de toi ; que tu reprennes ton rôle de grand frère par rapport à Paul. Elle se bat en permanence pour l’éducation de ton p’tit frère ; lui, qui ne fait plus rien à l’école, qui traîne avec ses potes… Il profite de l’absence de l’autorité naturelle paternelle pour se lâcher mais là, c’est trop ! Même s’il apprécie d’avoir enfin un portable et internet à la maison, il a très mal vécu tous ces changements. Ta mère craint le pire !
Peut-être te demandes-tu ce que je suis pour ta mère ? Eh, bien, je peux te dire que la distance notoire qu’il y avait entre elle et moi s’est amenuisée ; cependant, je ne la vois qu’en terme d’amitié. Comment pourrait-il en être autrement ? Je ne sais pas si tu es informé que je vais me marier ; oui, tu as bien lu ! Tu es d’ailleurs invité ! Cela fait 3 ans que j’ai enfin trouvé la perle rare : une femme qui comprend que l’écriture, c’est ma vie !
Une dernière chose (disons un conseil d’ami) : c’est trop stupide de s’apercevoir que l’on n’a pas dit « je t’aime » à ceux qui nous sont chers alors qu’ils viennent d’entamer l’ultime voyage…
J’espère, mon Cher Philippe, que cette missive ne restera pas silencieuse et que ton cœur saura pardonner l’amertume de mes mots. « Toute vérité n’est pas bonne à dire. » mais la mienne n’est pas mauvaise à lire. Je sais que tu pourras comprendre mon propos, même si ce n’est pas dans l’immédiat. Enfin, je te le souhaite.
Je croyais écrire un poème et les maux de ta mère ont dépassé mes vers…
Amicalmement, je t’embrasse.
C.
… … … …
Homère !
Qu’es-tu sans ton Odyssée ?
Ah, mers !
Qu’êtes-vous sans vos naufragés ?
Souvenirs amers
Où les âmes errent…
Sans…
FIN !
Chriss Brl
© chridriss – Tous droits réservés. Avril 2014.
J’aime beaucoup ce texte, ce revirement de situation, ces questions posées qui font sûrement écho à celles que l’on se pose ou se poserait dans de telles circonstances. C’est intemporel et en même temps tellement actuel comme récit. J’ai hâte de découvrir la suite.
Bonjour Marie !
Merci beaucoup ! Ton commentaire est encourageant.
En effet, tu as bien compris le message. Même si ce texte est une fiction, il y a aussi du vécu comme dans toute création littéraire…mais il faut garder le mystère… 😉
La suite, bientôt ! (je publie en plusieurs parties volontairement pour ne pas fatiguer les yeux du lecteur-e et faire durer le suspens… Lol).
Bonne soirée.