L’écrit du silence…

   Dans les méandres de mon esprit en ébullition permanente se bousculent toujours des mots plus haut que les autres : plus virulents, plus incisifs, plus vifs, plus dynamiques… Des mots ? Des décideurs bénévoles et volontaires ! Des leaders d’opinions ! Des empêcheurs de penser en rond ! Des extravertis libertaires ! Des révolutionnaires infiltrés ! Des affranchis ! Des esclaves libérés ! Des cadres décrochés du mur du Système ! Des salariés exploités ! Des ouvriers en grève !

Néanmoins modestes, des mots forts de mon for intérieur, emprunts d’équité, de justice, peut-être naïfs ou maladroits – un peu (de) gauche me direz-vous – qui brisent le silence, qui causent au service des causes… Des maux à combattre… Des mots qui me parlent…

Schizophrénie ? Frénésie fanatique ? Oh, que nenni ! Diantre, non !

– Taisez-vous ! leur dis-je. Ils ne m’écoutent point ! m’exclamé-je. M’ont-ils un jour écouté ?

– C’est à toi de te taire ! s’écrient-ils. Écris, si tu veux avoir, une fois l’article pondu, une fois le poème épanché, une fois l’humeur exprimée, un peu la paix, un peu de silence… Mais sache que rémission n’est pas toujours guérison ! Aie conscience que tu ne peux guérir totalement, juste te soigner ! Ces mots seront là jusqu’à ta mort voire au-delà !

Quelle cacophonie phonétique, et tac, et toc quand ils tiquent, taclent et toquent le clavier en m’éclaboussant de leurs revendications, de leurs demandes en tout genre, de leurs requêtes inassouvies ; en prose, en vers et contre tout ! 

Alors, l’Azerty, je le tapote à tâtons hâtifs et vapote à foison – oui, je suis tombé dans les vapeurs mais pas dans les vapes. Je le tape amical et le claque en cap et bas de casse ; je le monopolise en mono-police ; je le vampirise jusqu’à la risée ; je le vocabularise ; je le verbalise ; je le conjugue à tous les temps de la tentation.

Avez-vous remarqué que sur le clavier français les lettres S, D, F se suivent ? Étonnant, non ?

Mes doigts, d’ordinaire agiles, perdent pied ! Mes mots me noient – ces mots se noient – emportés par le courant continu si rapide, par le flot torrentiel de l’écriture bureau-tic. Noyés ? Non, ils refont surface avec plus de vigueur, plus de rigueur, tapis dans l’ombre de la lampe de bureau, planqués au verso de l’écran, cachés derrière une touche fantaisiste ou une fonction informatique inconnue, joueurs du raccourci tronqué, espiègles au décours d’une faute de frappe, d’un accent oublié.

Quel caractère ! Ils ont de l’audace ! Ils osent tout et ne sont pourtant pas si « cons » – comme quoi, il n’y a pas que les cons qui osent tout ! (Ah, les dialogues d’Audiard, quel bonheur !).

Ils ont du répondant ces mots-là : ces dictateurs de la pensée me dictent ce que je dois écrire. Je ne me rebelle point : j’aime tellement écrire que je ne saurai leur en vouloir ; j’aime tellement leur donner du sens ; j’aime tellement ce qu’ils me disent. J’aime tellement ce qu’ils me donnent et pourtant…

Quel brouhaha tonique et tuant quand ils m’invectivent, jusqu’à m’occasionner des maux de têtes indescriptibles, provoquant des fractures invisibles ; traumatisme crânien virtuel dû aux chocs répétés des mots quand ils frappent violemment ma tête pour en sortir ! Cette précédente phrase-exemple, d’ailleurs, vous est gratifiée afin que vous ayez, chers lecteurs-trices, un aperçu de la douleur céphalique que je subis, engendrée par l’entrechoquement des mots juste avant la sortie de mon cerveau, juste avant de les saisir dans l’écriture. Mes sourcils circonflexent. Mon front se plisse. Les cheveux m’en tombent.

De la tête aux pieds, tous mes organes se fatiguent, traversés de part en part de lettres acérées, de virgules vigoureuses, de points levés en signe d’exclamations vindicatives, d’interrogations à croche-pied, accroche-cœur, de guillemets moqueurs et de parenthèses interminables… Ma vue s’embue parfois de pleurs ; non, ce n’est point d’yeux qui louchent qui rendent floues les folles touches. Mon corps tout entier plie sous le poids des mots ; ma nuque se raidit ; ma colonne vertébrale se tasse ; mon bassin se visse au fauteuil ; mes jambes s’engourdissent ; mes pieds se refroidissent tant ils semblent si loin de mon cœur et de ma tête.

Fort heureusement, il est rare que j’écrivisse dans autant de souffrance ; la plupart du temps, j’accouche de mes mots facilement et sans péridurale ; naturellement. Il y a très souvent des cessez-le-feu, des instants de répits, des trêves…là, c’est parce que je n’écris pas !

Parfois, je vis des moments de pure poésie via des enchantements du verbe, des farandoles d’adjectifs florissant le printemps, des kyrielles de mots doux…comme avec ce maudit Cupidon, cet escroc, ce bandit, ce marchand de rêve, ce manipulateur d’âme, ce tueur à gage qui me fait écrire tant de rimes jusqu’à l’indigestion, jusqu’à ce que je vomisse mes tripes. L’émotion qu’il me procure me ferait avouer n’importe quel crime passionnel !

Voilà, je crois que j’en ai fini avec les mots pour aujourd’hui. Je vais enfin pouvoir pousser les cris du silence !

    À bientôt !

        Chriss

 

                                                  Le 16/11/2013 – © chridriss

 

 

 

 

Pas de réponses

  1. Marie Kléber dit :

    Merci pour m’avoir fait découvrir ce beau texte Chriss, qui me parle bien évidemment. Une fois les mots sortis, il reste le silence, qui lui aussi fait du bien, nous apaise et nous transporte. Les mots parfois sortent dans la souffrance.

  2. Chriss FV dit :

    C’est moi qui te remercie ! J’aime ta saine curiosité.

  3. peter318 dit :

    « heureusement, il est rare que j’écrivisse dans autant de souffrance .
    J’adore … le soin apporté au détail de conjugaison …
    Amitiés / Peter

  4. Chriss FV dit :

    Merci beaucoup pour votre commentaire !
    Soyez rassuré: l’écriture n’est point une souffrance; bien au contraire…
    Je suis très touché que mon « soin apporté au détail de conjugaison » vous ravisse !

    Au plaisir de vous lire.

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