Internet : des services, des sévices et des vices…

Il y a quelques années, j’ai commis un article relativement critique concernant les réseaux sociaux, notamment Facebook (j’en use encore et toujours malgré tout). J’y exposais mon ressenti à charge – certes, tout n’est pas négatif – concernant cette quasi offense à la Vie que peut être l’échange virtuel.

    En effet, cette forme de communication est – je dirais presque par nature – caution à malentendus et déconvenues, quiproquos et imbroglios. Ces incidents, parfois très fâcheux, se limitent la plupart du temps, in fine, à de simples désagréments, à des contrariétés passagères ou à de banales déceptions. Cependant, tout cela reste secondaire : on peut passer outre et ne pas s’en offusquer. Mais ces derniers temps, les conversations et autres interactions se sont envenimées jusqu’à prendre une tournure ô combien dramatique car criminelle : menaces de morts et de viols, suicides… (eh, non, je ne parle même pas du Darknet). Je suis choqué et donc obligé d’aborder ce sujet de nouveau. Je ne suis pas le seul à faire cet état des lieux ; par conséquent, j’aimerais avoir votre ressenti. Est-ce propre au net ou est-ce pareil ou pire dans la « vraie » vie ? Influence mutuelle et mutualisée ? Symboles et symptômes d’une société dévaluée, dévalorisée, décérébrée, décadente ? Est-ce un constat générationnel  ?

Il faut bien avouer que le net rend une multitude de services : forums d’entraide, documentation diverse et variée, divertissement (musique, films…), etc. C’est une source d’informations inépuisable, instantanément accessible, gratuite et mobile ! Saurait-on encore s’en passer ? Et la bureautique ? Une merveille ! Rappelez-vous les machines à écrire… De plus, grâce à des applications telles Messenger, Viber…, on garde un lien facilement, avec nos contacts « du bout du monde » (…ou pas !). Internet permet donc de se cultiver, de s’informer, de communiquer, de s’évader ; en somme, de se récréer. Mais la médaille a toujours un revers…

Nonobstant ces avantages, ce temps passé à surfer est souvent synonyme de temps perdu : on s’égare de page en page ; on ouvre encore et toujours les applis même s’il ne s’y passe rien et que l’on n’y fait rien… Accoutumance. Fasciné par l’outil, il m’est arrivé de passer des journées entières devant un écran. On ne sait plus s’arrêter. Dépendance. Une addiction à l’évidente chronophagie. Et plus on passe de temps sur l’ordi, le smartphone, la tablette, moins on est disponible, à l’écoute. On s’enferme dans une bulle faute de temps libre. L’effet est d’autant plus pervers que l’on n’a pas plus de temps à consacrer à soi-même qu’à autrui ! Cette pratique m’a incité à changer mon approche du net, surtout des réseaux sociaux : me voilà cantonné depuis à n’être plus que sur Facebook (et pas n’importe comment ; et puis, j’avais abandonné l’écriture donc un like et quelques mots par ci par là me suffisent). Finis donc les commentaires de commentaires, les débats houleux et stériles ! Finies les prises de têtes ! Et vive le temps libre ! Sevrage. Évidemment, Google, pour mes recherches, reste toujours mon ami ! S’informer, se distraire, communiquer est fondamental dans la vie – même virtuellement si l’on est vigilant, discipliné, par rapport au temps passé et que l’on garde entrebâillée, la porte de sa bulle. Sinon, cela retentit, trop souvent négativement, dans le relationnel, au quotidien.

Or, on se parle de plus en plus virtuellement et de moins en moins de visu et de manière spontanée. Pour bien se parler, il faut déjà se voir, se rapprocher (et parfois se toucher). Quid de la communication non verbale ? Les relations humaines réelles se détériorent, se dématérialisent, s’invibilisent ; d’autant plus que la politique sécuritaire a ajouté une dimension à tendance paranoïaque à la méfiance déjà exponentielle envers autrui. Un sentiment de peur démesuré et non justifié s’est donc installé (durablement ?). Chacun – que son activité sur le web soit chronophage ou pas – se replie alors dans son cercle de proximité : familial, amical, professionnel, religieux, sportif… donc communautaire1. Et même à l’intérieur d’un groupe, l’être humain s’isole dans son coin (d’écran) ; une nouvelle forme de solitude, liée à l’exclusivité des échanges virtuels (et autres activités : jeux en ligne, par exemple), est née au détriment d’une vraie vie socia(b)le. Il serait peut-être temps d’inverser cette tendance…

"Tout n'est pas bon dans l'humain"

Auteur.e inconnu.e. Photo © chridriss

      Communiquer avec autrui, libérer la parole, c’est formidable mais…

    Outre cet isolement individualiste de facto, force est de constater que le masque de l’écran autorise, dorénavrant à quiconque, de dire tout et n’importe quoi, dans la démesure, dans l’outrance, dans le mensonge, dans l’incivilité, dans l’agressivité ; systématiquement dans le jugement hâtif, méprisant et insultant, avec sa cohorte d’invectives ordurières. Pas d’argumentaire, pas de nuances, pas de compromis, pas de remise en question, pas d’objectivité. De plus en plus ouvertement, sans gêne et sans complexe : « je dis ce que je veux et je t’emm… ». Presque une norme. Quant à la bienveillance, l’empathie, la tolérance…, il parait que ce n’est que pour le monde des Bisounours…  Il est vrai que le virtuel privilégie le cash quand il est trash ; pas quand il est sincère et sans embrouille.

Cette manière de se comporter me dérange, m’indispose mais ce qui me perturbe davantage – un cran au-dessus – c’est la propension croissante et assumée, de nombreux internautes, à être odieusement dans la violence érigée en système, à se vautrer copieusement dans la cruauté, à vomir insidieusement leur haine ciblée (racisme, sexisme…), sous couvert d’anonymat (personne ne l’est vraiment mais beaucoup le pensent. Enfin, ça, c’était avant : actuellement, les personnes osent publier sous leur vrai nom sans filtre, sans limite…).

Au nom de la sacro-sainte liberté d’expression, on a déjà oublié le simple respect, la politesse ; maintenant, on se permet de déborder du cadre, de la loi… Ma tolérance a des limites. Pourtant, dans bien des domaines, je suis le premier à défendre la transgression, la désobéissance, l’interdit. J’accepte que l’on n’ait pas les mêmes opinions que moi, que nos rêves soient différents. J’accepte même ce que je traque chez moi : les fautes d’orthographe ! Je sais, je vais me répéter mais le nombre de fois où je lis « ta gueule, fils de pute » et autres joyeusetés du genre, juste parce que l’on pense différemment me laisse dubitatif. Heureusement, je n’ai jamais été insulté de la sorte mais les lire me touche presque autant que si j’en étais le destinataire. Peut-être parce que je suis incapable d’en être l’auteur.

Au-delà de, et conjointement à, cette agressivité gratuite presque généralisée, je suis perplexe aussi quand je constate la multiplication des hoaxs, des fakes, des partages sans vérification de l’info et de la source, des citations sorties de leur contexte (et des images tronquées) … Cela m’exaspère tant cette pratique est fréquente. Et me désespère aussi, quand certains de mes contacts Facebook (des proches, des ami.e.s), au demeurant pourvus de nombreuses et belles qualités humaines, s’empressent de diffuser des pseudos infos, venant de sites extrémistes (surtout de droite), complotistes ou autres conneries. Ceux-là, même, se laissent aller à exprimer des propos très très limites sur les migrants, les étrangers (ou supposés), les Musulmans, etc. Ils savent que je ne suis pas d’accord avec leurs idées, leurs idéaux. Certes, ils en ont le droit et je ne vois pas l’intérêt de s’entourer de gens qui pensent comme soi ; cela n’aide pas à changer la société. J’ai pourtant partagé de bons moments, et pas que virtuels, avec eux, entre ami.e.s. Je suis mal à l’aise. Que faire ? J’ai le choix entre discuter (j’ai essayé), ignorer leurs propos (ce que je fais) ou les supprimer (ce que je n’arrive pas à faire). Bref. Si d’aucuns me lisent, ils feront peut-être le choix à ma place. À bon entendeur !

Au-delà de ce désagrément personnel, le plus terrible du net, bien sûr, sont les conséquences graves de tous ces propos nauséabonds. Tous ces mots à maux virulents blessent, détruisent, anéantissent des vies. Des adolescent.e.s se suicident car victimes de harcèlements divers : moqueries récurrentes, chantage… Des femmes se font insulter et menacer de mort car elles osent dénoncer – c’est différent de la délation – leur agression sexuelle, les violences conjugales. Elles vivent donc encore plus dans la peur parce qu’elles ont osé s’exprimer.

          Des êtres humains ont perdu leur dignité, leur honneur. 

    Cet aspect du net me révolte : qu’ont à gagner, tous ces internautes, à être intolérants, violent, cruels ? Le droit à la différence est devenu le droit à la déférence ou à l’indifférence.  Les hommes machistes et sexistes n’ont-ils aucune mère, sœur, nièce, cousine, épouse…pour traiter la gente féminine avec autant de mépris, de lâcheté ? Est-ce que causer le mal-être, la peur chez autrui rend leurs auteurs heureux ?

Pourquoi des personnes se permettent de juger leurs semblables, de les condamner sans preuve avec autant de haine ?

Je ne comprends pas. Ce monde se déshumanise. L’empathie, la confiance, le pardon…sont des mots ; juste des mots : ils n’atteignent plus le cœur de mes semblables. Il subsiste malgré tout quelques exemples de bonne volonté, d’espoir alors « Vivons heureux en attendant la mort »2

        Chriss Brl

Communautaire : n’est pas employé ici dans une acception péjorative. Une communauté est juste un groupe de personnes réunies par des intérêts communs. Le communautarisme, c’est autre chose…

2   Titre d’un ouvrage de Pierre Desproges

NB : je reviens sur Tweeter sur la pointe des pieds ; ou plutôt, devrais-je dire le bout des doigts des mains sur le clavier… Chriss FV

Le 14/11/2017 –   © chridriss

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.